Quand Vice-versa 2 est arrivé en salles après presque dix ans d’attente, beaucoup se demandaient si Pixar parviendrait à retrouver une place forte dans la culture cinématographique. Le premier film avait marqué les esprits par sa simplicité et son intelligence émotionnelle. Avec cette suite, l’enjeu est plus grand : il ne s’agit pas seulement de revisiter les émotions de Riley, mais de dire quelque chose de neuf sur l’adolescence, le changement intérieur et le rapport du studio au public. Le succès spectaculaire au box-office, mondial, suggère que cette tentative a été payante — mais il faut comprendre pourquoi, comment, et ce que cela signifie pour l’avenir de Pixar.
Le succès ne s’arrête pas aux chiffres
Les données parlent d’elles-mêmes. Avec un budget d’environ 200 millions de dollars, Vice-versa 2 a généré près de 1,7 milliard de dollars dans le monde. Le film n’est pas seulement un hit, il bat des records : il est devenu le film Pixar le plus rentable de tous les temps à ce jour. Sa sortie s’est accompagnée d’une stratégie de communication massive, et les résultats montrent qu’un public familial est toujours prêt à retourner en salle quand l’offre est soignée et ambitieuse.
Mais ce succès n’est pas uniquement d’ordre économique. Il fonctionne comme une réponse calme mais déterminée aux critiques adressées à Pixar ces dernières années : celles d’un studio qui, selon certains, avait perdu de sa capacité à surprendre ou à marquer durablement. Vice-versa 2 ne cherche pas à cacher ses ambitions sous les artifices, mais à les porter avec clarté.
Quand les émotions deviennent structure narrative
Le premier épisode de Vice-versa portait l’enfance, la nostalgie, la transition. Avec la suite, Pixar fait le choix d’un âge encore plus complexe : l’adolescence. Riley n’est plus une enfant, mais elle n’est pas encore adulte. De nouvelles émotions apparaissent — l’Anxiété, l’Envie, l’Embarassement, l’Ennui — et elles ne sont pas accessoires. Elles viennent redéfinir l’équilibre entre les émotions historiques comme Joie, Tristesse, Colère, Peur, Dégoût.
Kelsey Mann, le réalisateur crédité, a insisté dans les entretiens sur le fait de ne pas vouloir simplement reproduire le ton du film original, mais de « trouver un langage visuel et narratif pour cette phase de transformation ». Le film propose des dialogues où les émotions dialoguent entre elles, se confrontent, coopèrent ou s’opposent. L’adolescence est pensée comme un territoire intérieur instable, changeant, parfois contradictoire.
Ce traitement audacieux change le rapport que le spectateur entretient avec l’histoire. On ne regarde plus Riley comme une figure distante, mais comme une jeune personne en construction, avec des fragilités et des questionnements. Et c’est précisément cette proximité, cette capacité à toucher sans simplifier, qui renouvelle l’intérêt porté au film d’animation pour familles.
Le pari du cinéma contre l’ombre du streaming
L’une des interrogations majeures autour de Pixar ces dernières années était : le studio va-t-il sacrifier le cinéma au profit de la plateforme Disney+ ? En effet, plusieurs titres comme Soul, Luca ou Turning Red sont sortis directement en streaming, sans passer par les salles. Cela avait alimenté l’idée que Pixar devenait un label de Disney+ plus qu’un studio de films.
Avec Vice-versa 2, Pixar a fait le choix inverse : mise sur une sortie en salles, avec une stratégie marketing forte, pour affirmer que l’expérience cinématographique compte encore. Le film a été accompagné de projections mondiales, d’une montée en puissance médiatique et d’un soutien promotionnel que l’on réserve aux grandes franchises. Le résultat montre que ce pari était valable : le public est revenu.
Mais derrière cette affirmation, c’est un équilibre subtil qui se joue. Pixar doit rester présent sur le streaming pour capter l’audience domestique, mais sans que cela n’écrase sa présence au grand écran. Vice-versa 2 fonctionne comme un rappel que le studio peut encore jouer sur les deux tableaux — à condition de le faire avec intention et cohérence.
Le défi de l’équilibre entre suite et originalité
L’un des pièges classiques des franchises est de s’enfermer dans la répétition. La nostalgie est un levier puissant, mais elle peut devenir un frein si elle domine toute innovation. Pixar en est conscient. Ses dirigeants ont déclaré qu’ils travaillent simultanément sur de nouveaux récits originaux, et que Vice-versa 2 représente une forme de pari : garder la familiarité tout en poussant vers de nouvelles zones.
Cette dualité est déjà perceptible dans le film lui-même. Le retour de personnages et d’émotions connus rassure le spectateur, mais l’introduction de nouvelles émotions et la complexification de l’intrigue obligent à repenser ce qui avait été établi. C’est un exercice de cohérence : faire que le film touche tout en surprenant.
Cette stratégie pourrait devenir un modèle pour Pixar : alterner des suites assumées avec des œuvres pleinement originales. Les premières assureraient une stabilité commerciale et créative, les autres seraient des laboratoires. Ce schéma pourrait redonner au studio une assise plus équilibrée, moins dépendante des franchises, tout en conservant sa légitimité.
Un tournant narratif pour l’animation occidentale
Dans le débat contemporain sur l’animation, Vice-versa 2 apparaît comme une réponse de poids aux attentes élevées du public. Tandis que certains films d’animation pour familles semblent lisses ou prévisibles, le nouveau Pixar montre qu’il est possible de donner à un film pour enfants une profondeur thématique, sans l’alourdir. C’est une proposition qui pousse d’autres studios à réfléchir : jusqu’où l’animation peut-elle aller sans perdre son public principal — les jeunes, les familles.
Plus encore, ce film pourrait redéfinir ce que l’on attend d’un film familial. Moins de péripéties spectaculaires, davantage de justesse psychologique ; moins de gag immédiat, plus de moments de silence ; moins de spectaculaire pur, plus d’émotion réfléchie. Dans ce cadre, le succès au box-office n’est plus seulement la preuve d’un goût pour l’animation, mais la validation d’une ambition artistique.
L’impact médiatique et culturel
Le film n’a pas été seulement une vague au box-office. Il a été l’occasion d’un dialogue autour de la santé mentale, de l’adolescence et de l’éducation émotionnelle. Dans plusieurs pays, des associations éducatives ont vu dans Vice-versa 2 un support pour introduire des discussions avec les jeunes publics sur ce qu’ils ressentent, les émotions qu’ils ignorent ou qu’ils préfèrent taire.
Ce dialogue contribue à renforcer l’idée que l’animation peut être porteuse de message, sans être moralisatrice. Vice-versa 2 devient un repère culturel, un point de référence pour les débats sur la jeunesse, le changement et le rapport aux émotions. C’est un signe que Pixar ne veut plus seulement divertir, mais accompagner.
Au final, Vice-versa 2 ne se contente pas de revisiter une formule gagnante. Il exprime un nouveau cours pour Pixar — un cours qui conjugue exigence, audace et respect du spectateur. Le film impose l’idée que l’animation peut rester un art populaire, capable de toucher profondément sans céder au spectaculaire vide. Il rappelle que le voyage intérieur est encore l’un des terrains les plus fertiles du cinéma.