Dans sa jeunesse, Palamède, notre homme avait fait plusieurs fois le tour de la terre et tant de choses.
Il avait été palefrenier dans des écuries généreuses , avait vécu en prince dans des forêts touffues. Il avait ensuite traversé les steppes de Mongolie dont il s’éloigna plus tard pour devenir jardinier au bord du pacifique, et plus tard encore… baladin.
Au moment de cette histoire, il venait de sortir d’un sous-bois pour être simple passager, dans un bus, à Paris.
C’est lui qui a donné l’alerte. Il l’a fait sans hésiter, sans se troubler. C’était l’heure de pointe. Il s’est penché pour demander poliment et avec beaucoup d’aisance à une mère de famille si elle acceptait de lui prêter son téléphone. Alors à un mystérieux interlocuteur, il a détaillé les coordonnées du bus d’un ton clair presqu’autoritaire comme un marin qui sait lire les cartes et les étoiles . A l’intérieur, c’était la cohue habituelle d’un jour d’hiver sur la ligne S. Au coin de la cour de Rome, à l’arrêt St Lazare, les drôles de sauveteurs qu’ils venaient d’appeler sont sortis en courant d’une ambulance, se sont mêlés à la foule emmitouflée, et ils ont réussi à monter dans le bus puis ont cherché à se diriger vers le fond.
Forcément le bruit de la sirène a surpris les passagers. Chacun se demande ce qui arrive, (chacun scrute les autres passagers, tandis que) les ambulanciers en uniformes violet et blanc, eux, se faufilent. Ils s’excusent de déranger et s’approcher d’un groupe de personnes . .
Sur la dernière plateforme, ils interpellent aimablement une femme … mais elle tourne la tête ce qui rend difficile leurs efforts pour se faire entendre :
- Madame, votre capuche ….Madame …
- Les oreilles de votre capuche sont si près des vôtres !
- Madame elle respire , votre capuche respire, vous l’avez derrière votre tête mais faîtes attention…
- Madame, Votre capuche respire, vous entendez ? répète encore l’un des gaillards !
La jeune femme n’a pas vraiment le temps de réaliser ce qu’on lui dit qu’un autre l’entoure joliment et l’embarque par l’épaule en ajoutant :
- Venez vite on peut encore se rendre compte de quelque chose, pardon, pardon merci encore de laisser passer madame…répète un autre en s’excusant auprès des passagers. Chauffeur stop ! MERCI !
- (Ne craignez rien ! Lance le dernier de ces mousquetaires en guidant la malheureuse vers la sortie.)
Une fois descendue du bus, la jeune femme s’étonne, elle est comme en sueur et dignement la voilà qui se justifie :
- Mais lâchez moi ! Vous me faîtes peur.
- Justement madame, ensemble nous allons… !
- Mais permettez je vais au travail et tout va bien pour moi … mais qu’est-ce qui vous prend ! Vous me déshabillez !
- Oh non on s’arrête la. Voilà on a allongé votre manteau sur la civière, on va pouvoir lui donner les premiers soins et l’emmener. Vous-même, vous pouvez reprendre le bus , c’est tout à fait possible. Nous n’avons plus besoin de vous sauf si dans vos placard vous pensez qu’il ‘ y a… enfin vous nous comprenez dans ce cas n’hésitez pas , voici la carte de visite de nos services…vous entendiez, nous serions mal si le souffle… excusez-nous madame ! On va faire tout ce qui est en notre pouvoir et croyez-nous, on en a très peu !
- Et pour le défraiement ?
- Tout est indiqué sur la carte , l’argent n’est pas un problème, mais nous devons nous dépêcher ! Excusez- nous encore madame ! Au revoir. Attendez , excusez-nous encore, mais tout de même une dernière question : vous n’avez pas de col , de col en fourrure, vous savez quand la petite marte ou le renardeau est entier et que de ses pattes et sa tête…
- pendent devant ?
- C’est ça, vous en avez ?
- Devant non
- Heureusement pour vous !
- Ah ? Comment ça heureusement ?
- Disons que vous l’avez peut-être échappée belle voilà tout…disons que la honte, ça fait souffrir, vous le saviez ? Au revoir Madame.
Enfin l’ambulance démarre avec sa mélodie stridente. Notre homme est à l’intérieur. Il avait quitté le bus pour se joindre aux sauveteurs. Ils sont maintenant en train de prendre les paramètres biologiques…il se penche lui aussi au- dessus du manteau allongé et murmure :
- Qu’est ce que ça donne ?
- Si on se fit aux strictes données qui s’affichent : il y bien eu illusion…
- Vous voulez dire ? Illusion ? On est bien d’accord demande notre homme.
- Oui, illusion, la respiration est très ténue mais elle existe ! La souffrance est restée vivante, continuelle même et l’emporte.. Monsieur, vous avez bien fait de nous appeler ! Comment vous appelez vous ?
- Palamède
- Bravo ! Palamède, vous pouvez être fier, on vous accorde le privilège de lui donner les premiers soins si vous voulez .
- Oh c’est toujours un honneur pour moi !
- Où avez-vous appris ?
- Il se trouve que j’ai beaucoup voyagé et que j’ai vu beaucoup vu de malheur chez les humains et chez les animaux…
- D’après les données qui s’affichent, le manteau est réceptif. Vous allez pouvoir….monsieur ! Monsieur !
- Oui excusez-moi, un moment d’émotion…
- C’est à vous, que voulez -vous dire à la peau de ce manteau pour qui vous nous avez appelée ?
- Pardon bien sûr au nom de tous, excusez-moi, l’émotion encore
- On vous laisse vous serez plus à l’aise, on va s’arrêter dans un jardin public.
- Merci ce n’est jamais facile ces moments-là !
- On stoppe içi et on vous laisse
Un fois seul, notre homme se concentre pour trouver une attitude qui lui conviendrait… Il ferme les yeux. Voilà qu’il entend des pas venant de l’allée du jardin. Forcement il tend l’oreille et ..Mais oui, c’est elle, la femme du bus qui court vers lui toute échevelée…
- Oh monsieur, j’ai tellement honte est ce que je peux lui parler ?
- Bien sûr
- Je n’ai pas pu continuer ma journée, il fallait que je vienne. Comprenez-moi bien je ne suis pas venue pour le récupérer.
- Oui .Qu’est- ce que vous voulez dire à votre pauvre manteau ?
- Pardon, je voudrais lui dire pardon, car je vois bien qu’il est fait avec des animaux qui ont dû beaucoup souffrir.
- Oui , la doublure de la capuche et le tour là, il faut compter peut être deux trois femelles avec leurs petits. Sa tête reconstituée pour faire joli, c’était pas un bon moment pour eux…On les électrocute pour ne pas abîmer la fourrure et on les dépèce parfois même avant qu’ils soient morts devant les autres qui attendent. C’est ça qui vous dérange ? , c’est ce qui est arrivé aux animaux avec lesquels on a fait votre manteau ?
- Oui , j’ai tellement honte… à un moment, j’ai même cru qu’il respirait.
- Mais il respire madame, oui ! C’est une idée qu’il faut garder oui il respire d’un souffle léger sans colère qui lacère le cœur !
- Taisez-vous c’est trop horrible ! J’aurais tellement voulu …
- Vous savez moi, je suis triste, comment vous, comment vous appelez vous ?
- Patricia
- Je suis aussi désolé, aussi navré que vous Patricia.
- Aidez-moi ! Donnez-moi, une idée pour ce qui arrive .
- Alors, quelle genre d’idées ?
- Une idée qui soit belle
- Pas facile pour un tel sujet..
- Une idée généreuse
- Oui, mais encore..
- Une idée qui change le monde.
- J’en ai peut-être une…
- Je vous écoute, de toute façon je ne peux pas rester comme ça. Je ne peux plus regardez mon manteau, je ne peux plus le porter évidemment et je ne peux pas non plus le jeter, ce serait irrespectueux. Est-ce que je dois le récupérer ? J’attends votre idée !
- On pourrait le garder entre nous, chacun le tiendra à son tour . Vous allez et venez dans votre vie comme d’habitude et je vous suis et quand nous rencontrons des gens , ensemble nous évoquons l’histoire de toutes ces pauvres bêtes qu’on massacre pour les vêtements, les portes clefs, les bonnets, les pompons, des bricoles en fourrure.
- C’est une idée , palamède. Mais comprenez, je n’en suis pas capable, j’ai trop peur des reproches.
- Bien sûr…
Alors Patricia et Palamède s’en vont par les rues, à la recherche de ce qu’ils pourraient dire et faire. Tout cela dure la journée et arrive le soir à un moment il faudrait se séparer, mais ils se retrouvent ensemble.
Ils n’ont pas envie de se quitter. Ils avancent dans le froid en évoquant mille choses. Palamède parle de Chine, des fourrures en peaux de chiens, des capuches et des doublure en chats. Parfois il parle plus vite. Il ne voudrait pas oublier les visons dans les élevages, les coyottes hurlant une patte prise dans les pièges au Canada et les petits agneaux d’Astrakan grelotants dans la neige avant de subir la mort devant leurs mères qui les appellent… .
Ils ont posé le manteau entre eux d’eux… la capuche s’est mise à respirer un peu plus fort et parfois, chacun, pour ne pas déranger ce reliquat de douleur, se tait. Cette souffrance assourdie, qui n’a plus de cris pour sa colère , c’est innommable ! On y revient toujours.
- Palamède, j’ai l’impression que quelque chose pourrait changer mais j’ai la sensation d’être dans un rêve, pas vous ?
- Non nous ne rêvons pas. Les rêves s’effacent par plaques comme la brume et leur dissipation annonce le matin.
Mais nous, Patricia, ce qu’on a vu , ne se dissipe pas et ne s’effacera pas . Cette capuche en fourrure qui respire, ça fait toujours mal. - Oui, Palamède, mais alors cette souffrance, qu’est- ce que c’est ?
Claude Fée
Madame, votre capuche respire
(Version Intégrale)
Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2021-11-01
Lu par Claude Fee
Livre audio de 12min
Fichier mp3 de 9 Mo