Il était une fois une gentille route qui menait à un village ou tout le monde se sentait heureux. Si vous aviez envie d’aller admirer le coucher du soleil, elle vous accompagnait au bord de la mer. Si vous vouliez surprendre le jour dès son lever, elle vous promenait jusqu’à la forêt. Son dos était souple et d’un blond moelleux. Il se laissait chatouiller par les vélos, les baigneurs, les voitures, les vaches, les brouettes des enfants et des paysans. Tout le monde aimait cette route et les arbres qui l’entouraient murmuraient souvent quelques chansons qui s’entendaient à l’unisson.
Un matin, que la rosée tranquillement s’évaporait sur sa peau, sa surface se figea et il y avait de quoi ! Une énorme citerne montée sur quatre grosses roues rugueuses était arrivée à toute vitesse en la griffant méchamment. Il lui fallut toute la journée pour retrouver sa légèreté.
Le lendemain, ce fut la même chose ! Le même scandale !
Le jour d’après était un lundi. Il se trouva que le maire qui était un homme très gentil avait justement rêvé cette nuit-là qu’il était un héros. Alors bien qu’encore endormi, il sortit d’un bond de son lit et en pyjama, il se mit en travers de la route, les bras en croix, il hurla :
- Arrête citerne sinon il y aura des conséquences !
Mais c’est lui que la grosse barrique à roulettes faillit aplatir… car elle déboula toute allure en écorchant tout sur son passage. Le maire fut effrayé et il y avait de quoi !
Le mardi, Lili qui était une petite fille que tout le village admirait, car elle était championne de marelle, vint lire de la poésie, dans l’espoir de partager un moment de paix qui calmerait tout le monde et surtout cette vilaine bassine. Mais rien à faire, cette grosse bombonne turbina de toutes ces forces et revint tout saccager. Heureusement que Lili avait de bonnes jambes pour se sauver. Mais la pauvre route, elle se retrouvait encore bien triste et abîmée…
Le mercredi Hector qui était le chef d’un orchestre de papillons demanda à tous ces artistes de ne pas se poser à proximité et de ne pas rendre visite aux coquelicots de la bordure, comme ils le faisaient chaque jour. À son avis, ce manque ferait certainement réfléchir la citerne… Mais hélas, non ! elle n’en avait rien à faire et elle recommença à avancer à toute allure avec ses énormes roues.
Le jeudi, c’est Firmin, un jardinier qui essaya aussi de raisonner cette maudite. Il s’appliqua à peindre une grande pancarte à l’entrée du village sur laquelle il écrivit : roule encore plus vite ! il reste des enfants, des chats, des chiens à écraser !
Mais cela n’empêcha rien, ce gros chariot affreux revint griffer le dos de ce si beau chemin.
Alors ? Ni l’ironie de Firmin, ni la question du manque de papillons mise en scène par Hector, ni la poésie de Lili si joliment déclamée, ni les ordres si sincères du maire ne pourraient rien ? Rien ne pourrait rien à ce désastre ?
Ce même jeudi soir, tout le village se réunit pour réfléchir. Vers minuit, ce fut décidé: on demanderait à Dictum de venir le plus vite possible. Elle vivait en grande vedette loin de la campagne, mais des moineaux étaient prêts à aller la chercher. À cette nouvelle, certains habitants s’inquiétèrent, certains lecteurs aussi se rappellent peut-être que Dictum est un oiseau de caractère ! Mais on ne peut tout de même pas lui reprocher d’avoir les yeux en face des trous !
Le vendredi, de très bonne heure, Dictum arriva en voiture avec son compagnon Grand-Duc qui bâillait chaque fois qu’il tournait la tête. Dictum inspecta longuement la route et déclara qu’elle avait peut-être une solution, mais qu’elle aurait besoin pour cela que son amie Paulette vienne avec son gentil mari. Elle demanda aux moineaux s’il voulait bien aller les chercher en leur recommandant de parler doucement, car, dit-elle :
- Ce sont de grands sentimentaux…
Tout le monde se demandait bien qui était cette amie Paulette et son mari, chacun retenait son souffle et tous comptaient déjà sur eux… si seulement, ils faisaient quelque chose….
Le lendemain, à potron-minet, le grand-duc lança un hululement de contentement fort et profond en survolant la campagne. Son cri se mêlait à celui du cocorico du coq de Paulette qui victorieux, lui, claironnait qu’il était temps de se lever. Bientôt, le maire, Lili, les papillons, Firmin, Hector, les chats, les chiens et tous les habitants se dirigèrent vers la forêt. Ils coururent jusqu’au moment d’apercevoir Dictum. Près d’elle, ils firent la connaissance de Paulette et de son mari robuste et sympathique. Tous les trois étaient en train de tourner autour d’une citerne déglinguée qui gisait les quatre roues en l’air ! Cette machine effrayante n’était plus qu’un amas de tuyau et de pneus jetés en vrac sur l’herbe ! Quelle bonne surprise !
La route, elle aussi avait changé. Elle était toute parsemée de grands creux moelleux dans lesquels il y avait comme des couvées d’œufs, mais, Lili le vérifia… ce n’étaient pas des œufs. .Aucun oiseau n’aurait pris ce risque avec des poussins à naître… Ces œufs-là, ils étaient en pierre. Déjà les œufs c’est très solide, alors en pierre ! c’est autre chose ! Ainsi donc: Paulette les avait déposés dans des creux qu’elle et son mari avaient aménagés exactement comme des nids. Ils étaient heureux de rappeler ce qui est essentiel dans la vie ! Tendre route! Tendre Poulette ! Et bien fait si ces nids de poules avaient déglingué la citerne ah ça oui !
Ce fut pour tout le monde une joie soudaine comme une levée de rideau au théâtre. Chacun des villageois eut à cœur de remercier les artistes. Dictum, Grand -Duc, Paulette et le coq se laissaient applaudir et paisiblement distribuaient des invitations pour fêter la naissance des nids de poules : cette installation qui avait réussi à défendre la vie.
Mais pourtant cette joie risquait d’être gâchée. Car, tout à coup, Firmin le jardinier fit remarquer au maire qu’à côté de la citerne il y avait un trou dans l’herbe autour duquel tout était grillé.
Le maire s’approcha et se mit à pleurer en déclarant qu’il savait ce que c’était. Dans un sanglot, il expliqua :
- C’est du cide
- Du cidre ? demandait-on autour de lui
- Non c’est du cide ! du poison qui tue tout et encore plus, le cide ça tue la vie quoi !
- C’ÉTAIT du cide ! déclara Dictum, car c’est fini tout ça ! La citerne ne reviendra pas ! Elle n’apportera plus ce poison !
C’était vrai. La naissance des nids de poules les protégeait. Aucune citerne ne se risquerait à venir tout détruire. Depuis ces nids de poules font l’admiration de tout le village ! Il paraît même que la route a fait savoir aux arbres que, s’il le fallait, elle serait capable de se défendre maintenant en faisant peut-être deux ou trois virages entre tous ses nids de poules. Les arbres, eux, sont déjà prêts à trouver le rythme d’une nouvelle chanson pour accompagner ce qui serait une autre bataille et c’est bien comme ça !
Article proposé pas Claude Fée à partir de son blog : https://www.claude-fee.com/la-naissance-des-nids-de-poules-2
Illustration : Molly
Audiolivre
Claude Fée
La Naissance des nids de poules
(Version Intégrale)
Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2021-10-11
Lu par Daniel Luttringer
Livre audio de 07min
Fichier mp3 de 5 Mo