Il y a très longtemps, dans un pays lointain, vivait un jeune prince qui avait très vite grandi. Il était beau, même si on ne voyait pas bien son visage, car il portait la tête très, très haute. Ses yeux, toujours plissés en direction de l’horizon, montraient bien qu’il n’aimait pas traîner dans l’aujourd’hui, et préférait regarder vers demain. Ce prince aimait les choses importantes et il était toujours pressé.
Tellement pressé qu’il ne prenait, par exemple, pas toujours la peine d’ouvrir tous ces cadeaux lorsque c’était son anniversaire. Il trouvait que ça gâchait son temps, il déballait ceux qui étaient faciles, mais délaissait les paquets emballés avec des rubans noués par tous les petits oiseaux du royaume comme c’était la tradition dans son pays.
Sa croissance spectaculaire l’avait aussi rendu vraiment autoritaire, si autoritaire qu’il commandait à ses sujets de tout faire le plus rapidement possible. Dans son palais, des savants et des docteurs défilaient. Il leur demandait des recettes pour cultiver des plantes qui poussent à toute vitesse. Il voulait faire des semaines sans mercredi et sans dimanche, comme ça il n’y aurait plus de temps perdu. Il cherchait à interdire les barbes à papa qui sont beaucoup trop longues à manger…. Il imposait à tout le monde d’être efficace et d’avoir l’envie de ranger, nettoyer, compter, lire, écrire. Tout, tout, tout, devait aller très vite, même les chansons.
Chaque jour, de la tour de son château, ce grand prince s’énervait parce que tout ce qu’il voyait était trop lent. Il criait tellement que plus personne ne pouvait prendre le temps de s’amuser ni de se plaindre… Pourtant un beau matin, un de ces conseillers qui était chinois et rêvait de repartir dans son pays peindre tranquillement de la vaisselle se décida à lui parler :
– Sire — je me dois de vous dire que si vos sujets travaillent un peu mollement… c’est parce qu’ils sont fatigués.
– Qu’ils se reposent le plus vite possible !
– Votre Majesté… ils n’y arrivent plus.
– Et pourquoi, dîtes — moi le, vite ?
– Avec la vitesse, tout est si bref, qu’il y a eu un problème avec les chansons…
– Comment ça, vite, quel problème avec les chansons ?
– Les chansons sont devenues si rapides et puis si courtes, de plus en plus courtes… aujourd’hui, il n’y en a plus.
– Je ne vois là aucun problème. Au travail à toute vitesse !
– Mais, Sire… vos sujets n’ont plus de cœur à l’ouvrage !
– Et pourquoi ? Dépêchez-vous de me l’expliquer.
– Mais… comment passer une bonne journée sans chanter et puis… comment s’endormir ?
Le jeune monarque admit qu’il y avait vraiment une question, car tout prince reconnaît qu’on ne peut pas vivre sans enchantement… C’est même un signe de reconnaissance. Il réfléchit royalement et repensant à sa mère qui chantait si bien les berceuses et à son père, qui avait été un grand roi merveilleux, il déclara :
– J’ordonne à tout le monde d’écouter… les gazouillis des oiseaux !
– Sire, c’est une excellente idée !
Et… le conseiller chinois resta planté là en se tordant les mains, comme s’il se passait dans son cœur quelque chose d’insupportable… le prince lui demanda :
– Mais enfin, ne restez pas là ! Allez dire à tous mes sujets d’écouter les chants des pinsons !
– Mais… ce n’est pas possible !
– Vous dîtes n’importe quoi ! Allez vite écouter les pinsons. C’est un ravissement. Ils démarrent leur chant avec des notes bien tranquilles avant d’accélérer avec des trilles. Allez ! ce sont des pinsons qu’il nous faut, que tout le monde prête l’oreille, ce n’est pas seulement un ordre ! Je vous l’ai dit : c’est un ravissement.
– C’est-à-dire que… majesté, il n’y a plus de pinsons…
– Alors… il faut entendre les vocalises du merle, savez — vous à ce propos, qu’il en fait encore plus quand la femelle couve ses œufs, comme s’il voulait bercer à l’avance ses d’oisillons ?
– C’est-à-dire sire que ce n’est pas possible…
– Vous m’irritez ! Allez ! Allez redire à mes sujets de trouver une chorale de passereaux, et dites-leur bien de remarquer combien plus le plumage est terne et plus le chant est magnifique…
– Majesté, il n’y a plus de pinsons, plus de merles, plus de passereaux qui chantent dans votre royaume.
– Comment que me dis-tu là ! Il n’y a plus de ravissement dans mon pays ?
– … Un chasseur a donné l’ordre de mettre de la colle sur toutes les branches des arbres.
– Quelle catastrophe ! Comment se fait-il que je ne sois pas au courant, vite ?
– C’est qu’on n’a pas voulu vous déranger ni vous faire perdre votre temps !
– C’est un scandale ! Qu’on appelle immédiatement tous les chasseurs à la colle, c’est un ordre !
– Oh ! Il y a justement leur chef qui arrive en courant à votre palais, oh ! il a encore du sang sur les mains ! Je crois même qu’il vient vous quémander un privilège !
– Ah un privilège ! certainement pas ! je vois ces mains rougies, attention, il faut qu’il les nettoie ! Il ne va pas me parler comme ça, je suis le prince de ce royaume !
– Je cours le lui dire, sire.
Le conseiller fonça dans les escaliers du palais expliquer rapidement la situation au chasseur. Celui-ci ne s’en inquiéta pas du tout.
– Laver le sang que j’ai sur les mains, vous savez j’ai l’habitude ! et sans même regarder il fouilla dans sa poche. Croyant prendre du savon liquide, il prit une petite fiole qui contenait de la glu… Si bien, qu’au moment où il voulut vérifier que ces mains sentaient bons… Il resta les deux pouces collés sur le bout de son nez… et se mit à crier :
– Aie ! aie ! Je veux retrouver mes mains jolies, présentables et parfumées !
Mais il eut beau tirer de toutes ses forces… ses deux pouces restaient bien attachés au-dessous de son nez. Le roi qui avait entendu ses cris le laissa venir et l’interrogea :
– Alors ! c’est vous le chef des chasseurs ! et qu’avez-vous donc fait aux pinsons ? Et à tous les oiseaux ? Répondez et tenez-vous droit, je vous prie ! Vous êtes devant un prince qui se doit de défendre le ravissement !
– Aie ! aie ! cette glu c’est horrible, ça fait mal…
– Mais répondez ! Tenez — vous droit, que faîtes — vous avec vos mains ?
– Aie ! aie ! où sont mes petites mains jolies présentables et parfumées ? Maman je voudrais les retrouver !
– Cessez de vous plaindre et répondez : pourquoi cette colle sur les branches ?
– C’est que les oiseaux sont si rapides dans le ciel à côté de nous qui ne savons pas voler, ça nous rend jaloux… Alors pour nous venger, comme on ne peut pas voler ni les attraper dans le ciel, on les colle sur les branches…
– De gros jaloux, voilà ce que vous êtes, messieurs les chasseurs ! Et vous, leur chef, cessez tout de suite de me faire ce pied de nez, ah ! cette fois, ça suffit ! Garde ! Jetez-le en prison !
Le prince aurait pu dire : une main de nez, car c’était bien ce que le chasseur faisait. Il agitait ses mains qui étaient toutes deux engluées solidement au bout de son nez, mais, certainement parce qu’il pensait aux pauvres petits oiseaux qui étaient si malheureux d’avoir les pattes collées, il parla de pied de nez.
À l’annonce de ce qui était arrivé au chasseur, tout ce qui restait de pinsons, de merles, de passereaux, mais aussi de verdiers, de rouge-gorge, terrorisés qui se cachaient dans le pays vint voler autour de la prison et faire des pieds de nez. C’était joli à voir ses folles cabrioles dans le ciel qu’ils faisaient tous avec leurs pattes touchant leur bec ! Cela plaisait beaucoup aux enfants qui comprenaient bien que ça voulait dire : on est libre !
Tout le monde retrouva sa bonne humeur et l’envie de chanter. Quelle joie de savoir qu’il n’y aurait plus d’oiseaux malheureux ! On pourrait les écouter pour écrire des chansons et ressentir le plaisir de vivre et de travailler… avec un prince qui maintenant comprenait pourquoi on ne peut pas toujours se presser, car il est important de ressentir l’émerveillement de vivre… le chef des chasseurs qui regrettait sincèrement sa méchanceté, présenta ses excuses au grand prince et jura de ne plus faire de pièges avec de la glu et même de ne plus chasser personne. Les oiseaux qui sont si gentils lui pardonnèrent et gazouillèrent à plein poumon.
Depuis ce jour, on fête la naissance des pieds de nez la veille du premier jour du printemps. C’est le jour que choisissent les oiseaux pour se marier, être heureux et avoir beaucoup d’enfants.
Depuis cette histoire, le conseiller du prince, de retour en Chine, raconte la naissance des pieds de nez à tous les enfants émerveillés qui le regardent peindre sa vaisselle.
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